Pourquoi s’embêter encore avec une chambre 20×25 ?

Posons d’abord que de tous les formats argentiques couleurs, le 20×25 cm (8×10 inch) est le plus grand facilement disponible (au delà, il faut faire une commande spéciale à Kodak pour un montant minimum d’environ $15.000). Tout format inférieur sera, toujours en argentique couleur, plus ou moins sensiblement inférieur en résolution. Donc c’est avec l’équipement numérique équivalent, s’il existe, qu’il faut surtout comparer.

Pourquoi, donc, s’embêter encore avec une chambre 20×25 ?

Parce qu’un négatif oublié sera encore lisible dans 100 ans.

Il y a sur mon bureau, posés à côté du scanner avec lequel je compte les numériser, plus d’une centaine de négatifs 6×9 cm réalisés par l’une de mes tantes avec un Brownie ou quelque chose de semblable, dans la ferme familiale, entre 1930 et 1940. Je les ai retrouvé dans une boîte en fer blanc il y a quelques années, accompagnés pour certains de leurs émouvants tirages contact. Je n’essaye même pas d’imaginer quelles images familiales (que ma compagne réalise en numérique) il restera à mes petits enfants dans 80 ans. Sans prétendre à la postérité par un banal orgueil, j’aime bien l’idée que mes photographies auront une durée de vie que dame nature ne m’offrira pas la possibilité d’avoir.

Parce que la visée sur le dépoli d’une chambre grand format est d’un confort inégalable.

Pour atteindre ou au moins approcher la qualité d’une image réalisée à la chambre 20×25 cm, il faut prendre le meilleur des dos numériques moyen-format, c’est à dire au format 4,5×6 cm. Il est nettement plus agréable et facile de construire une image sur un dépoli de la taille d’une feuille que sur un quasi timbre poste.

Parce que la marge d’erreur est plus grande quand le format est plus grand.

Une bascule est proportionnelle à la focale. Or, l’équivalent du 300 mm que j’utilise couramment en 20×25 sera un 72 mm en 4,5×6. Et les 4 ou 5° de bascule qui me permettent d’incliner mon plan de netteté en grand format deviendront 1° en moyen format, nécessitant un système de réglage micrométrique forcément couteux.

Parce que ça coûte moins cher.

Si je poursuis la comparaison avec un dos numérique, l’ensemble de mes cinq optiques achetées d’occasion (le top de se qui se fait pour le 8×10) m’a coûté 5.000€, ce qui suffirait juste à deux optiques dédiées au numérique. La chambre Norma m’a coûté le quart d’une RM3D. En numérique, me direz-vous, il n’y a pas de film ni de chimie. Oui, mais mon stock de 100 boîtes de Portra 8×10 et la chimie qui va avec ne coûtent, là encore, que le quart du prix d’un P65+. Ce qui revient à dire que la chambre 8×10 reste plus économique que le dos équivalent, en dessous d’un certain seuil de production bien entendu.

Parce que c’est l’outil traditionnel des photographes paysagistes américains.

En France, c’est surtout le passage de Depardon à la chambre lors de la commande de la DATAR qui m’avait marqué. Depuis, j’ai découvert outre Atlantique une tradition photographique très différente de l’omniprésent photojournalisme au Leica qui fut mon grand modèle durant des années. Sans renier les goûts et les habitudes que la pratique du petit format m’a donné, j’avoue trouver dans le grand format une approche nouvelle pour moi, de l’art de regarder.

Parce que ça permet de se démarquer

Là je touche un aspect subjectif et bien prosaïque. Sans même parler de l’influence de l’outil sur la photographie, il y a l’influence de cet outil sur le photographié (ou sur le client ou sur les témoins de la prise de vue). Utiliser une chambre 20×25, c’est se distinguer de la masse des photographes, ce qui n’est pas forcément négligeable. C’est aussi une façon de lier un autre rapport au temps et aux gens. Au premier on ne fait plus la course (ou beaucoup moins), aux seconds on n’apparait plus comme un voleur. Et puis c’est un embrayeur de conversations qui vont du sarcasme à l’admiration, en passant par l’étonnement.

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